background

Article

Interview Yannick Le Bris

Mis en ligne : le 05 octobre 2020

Focus sur le travail collaboratif mené par Yannick Le Bris sur l’apport du NGS dans la prise en charge des patients atteints d’hémopathies myéloïdes chroniques. Récemment publiée dans Haematologica, cette étude a également été présentée aux assises de génétique à Tours en janvier 2020.

Diagnosis and prognosis are comforted by integrated assessment of next-generation sequencing in chronic myeloid malignancies. A real-life study. Vantyghem S et al, Haematologica 2020

1/ Quel était l’objectif de l’étude ?

L’objectif était d’évaluer ce qu’a apporté le séquençage d’un large panel de gènes dans l’aide au diagnostic et dans le choix du traitement pour des patients atteints d’hémopathies myéloïdes chroniques. De nombreuses études ont rapporté l’intérêt diagnostique et pronostique du profil moléculaire dans ces pathologies mais l’intégration de ces données dans la pratique courante n’est pas toujours évidente pour le clinicien. Faut-il étudier tous les patients? Avec les moyens actuels et vu le coût et le côté chronophage de la technique, cela est difficilement envisageable donc pour quels patients cet examen a-t-il vraiment un intérêt? Et que faire des résultats de ce séquençage? Dans le cadre du bilan diagnostique d’une myélodysplasie par exemple, seules les mutations de SF3B1 ont été validées dans la dernière version de l’OMS publiée en 2016 mais les autres mutations récurrentes ont elles changé la conclusion diagnostique et amené à une prise en charge spécifique? Dans le cadre d’une évaluation du pronostic de cette pathologie, il n’existe à ce jour pas non plus de consensus international intégrant les données moléculaires dans la stratification du risque. Nous avons donc regardé si l’identification d’une mutation de haut risque avait en pratique incité le clinicien à l’escalade thérapeutique ou à l’inverse à une désescalade en présence d’un profil non défavorable ou favorable.

2/ Deux cohortes de patients (177 patients au total provenant de 10 centres) ont été sélectionnées pour évaluer l’impact des données moléculaires sur le diagnostic (cohorte A) et sur le pronostic et/ou la prise en charge thérapeutique (cohorte B). Comment l’indication du NGS a-t-elle été validée chez les patients et quel panel a été utilisé ?

L’indication du séquençage a été systématiquement validée après discussion en RCP clinicobiologique. Pour la cohorte A, les indications retenues concernaient majoritairement des patients pour lesquels les résultats cytologiques du caryotype ou d’anatomopathologie ne permettaient pas de conclure avec certitude à une myélodysplasie, un syndrome mixte ou à une néoplasie myéloproliférative (NMP). C’est cette concertation qui permet de discuter des résultats des examens de base et de juger de la pertinence d’une exploration moléculaire. Ceci a été le cas par exemple dans le cadre d’une anémie chronique avec dysérythropoïèse à la limite du seuil de significativité avec caryotype normal ou la suspicion d’une NMP triple négative. De façon intéressante, des cas d’aplasie ou d’hypoplasie médullaire ont aussi été des indications retenues pour la recherche d’une hématopoïèse clonale ou de marqueurs plus spécifiques de l’aplasie telles que d les mutations de PIGA . Pour la cohorte B, l’indication a été retenue par les cliniciens dans la perspective d’un traitement intensif ou pour renforcer l’idée d’une désescalade thérapeutique. C’est pour cette seconde cohorte que les discussions pouvaient être plus sujet à débat, le clinicien devant se demander si l’identification d’un marqueur de bas ou de haut risque modifierait réellement son choix thérapeutique? Dans la négative l’exploration moléculaire n’est pas retenue. Le panel de gènes utilisé est basé sur les recommandations de l’INCA publiées en 2013 et mises à jour en 2016, enrichi de gènes qui présentent un intérêt dans les indications habituellement visées par les cliniciens.

3/ Au moins une mutation a été identifiée chez 33% des patients de la cohorte A et chez 75% des patients de la cohorte B. Y a-t-il des particularités sur les profils moléculaires ? Quels ont été les impacts observés sur la prise en charge des patients ?

La cohorte de patients est hétérogène en particulier dans le groupe A qui inclus des suspicions de myélodysplasie des aplasies ou des suspicions de NMP. L’objectif ici n’était donc pas de faire une étude de la fréquence des mutations ou une comparaison avec les données déjà publiées sur des séries plus larges et plus homogènes mais bien de mesurer l’impact de ces résultats sur la pratique clinique. Néanmoins nous n’avons pas observé de particularité de profils moléculaires et les profils obtenus étaient cohérents avec les données de la littérature lorsque nous avons évalué chaque groupe de patients étudié séparément. Dans le groupe A l’identification d’une hématopoïèse clonale a permis de préciser le diagnostic en retenant une origine centrale de l’anomalie cytologique et la poursuite du suivi par un hématologue. A l’inverse l’absence de mutation dans le cadre d’une cytopénie permettait souvent d’exclure en grande partie un diagnostic de myélodysplasie et la suite de la prise en charge était alors assurée plutôt en médecine interne. La répétition de l’examen a aussi été réalisée chez certains patients mais notre panel n’étant pas exhaustif le diagnostic initialement suspecté ne pouvait pas non plus être exclu à 100%. Dans le cadre d’une suspicion de NMP c’est évidemment l’examen d’une biopsie ostéo-médullaire qui a permis de conclure définitivement.
Dans le groupe B, la majorité des impacts correspondent à une escalade thérapeutique de type intensification par allogreffe de cellules souches hématopoïétiques ou traitement par agent hypométhylant. Dans 1/3 des cas de patients pour lesquels le travail a eu un impact thérapeutique, les cliniciens ont décidé d’une désescalade thérapeutique de type abstention thérapeutique ou remplacement d’une allogreffe par un autre traitement.

4/ Lorsque des VUS (variant of uncertain significance) étaient retrouvés, quelle était l’attitude (rendu aux cliniciens, recherche constitutionnelle, impact sur la prise en charge du patient…) ?

Pour certains gènes tels que MPL, JAK2, ASXL1, TP53, RUNX1, en cas de détection d’un VUS, un avis a été demandé à un centre expert sur la connaissance de ce variant. Les VUS ont été rendus au clinicien avec un commentaire sur l’état des connaissances sur le variant, les limites de son interprétation et la possibilité d’étudier l’ADN non hématopoïétique pour confirmer ou infirmer son origine somatique. Nous avons séquencé par Sanger l’ADN extrait d’ongles pour une minorité de patients. Lorsque le VUS implique un gène avec un impact sur le pronostic le variant n’était pas considéré pour l’évaluation pronostique.

5/ Dans la cohorte A, y a-t-il eu des patients avec forte suspicion d’hémopathie mais sans anomalie retrouvée sur votre panel  et pour lesquels une exploration approfondie a été demandée ?

 

Une répétition de l’examen a été réalisée pour certains patients, mais nous ne disposions pas de panel plus large ni d’approche de type microarray à la recherche d’anomalie de structure cryptique au caryotype en faveur d’une anomalie clonale pour étayer le diagnostic. Cela pourrait être l’objet d’un futur projet de recherche.

6/ Take home message ? Des perspectives ?

L’utilisation du séquençage haut débit, à condition qu’il soit réalisé dans le cadre d’indications bien définies, apporte une grande plus-value pour la prise en charge des patients. La publication de recommandations internationales ou nationales serait utile pour aider les cliniciens dans la prescription et les biologistes dans la réalisation ou l’interprétation de ces examens (liste de gènes, sensibilité, interprétation selon le contexte). L’étude RUBIH2 qui vise à confirmer l’intérêt du NGS est importante pour convaincre les autorités de l’importance de pérenniser le financement de ces examens. Outre l’intérêt pour le patient, les traitements dont l’indication dépend de ces résultats moléculaires impliquent des montants financiers qui dépassent très largement le prix de ces examens. En perspective, l’émergence de nouveaux traitements ciblés tels que les anti-IDH1 et/ou anti-IDH2 dont les cibles peuvent être screenées renforce l’intérêt de cette technique en hématologie. Un partage des expériences et une multiplication des échanges autour des VUS dans le cadre du GBMHM serait intéressante pour aider à leur interprétation. L’intérêt du NGS en suivi des patients sera également évalué dans la précision du diagnostic. Un point important est également de considérer un diagnostic intégré avec le clinicien, prenant en compte toutes les données cliniques et biologiques du patient. Le NGS y trouve sa place lorsque les autres examens ne sont pas concluants. Nous sommes en train de regarder le devenir de ces patients pour tenter de mesurer l’impact à terme de cette étude. Pour conclure j’ajouterai que notre démarche d’une discussion en RCP systématique est recommandable car elle a aussi l’avantage d’un rôle pédagogique dans la juste prescription et l’interprétation de nos résultats avec les cliniciens.

ADRESSE

GBMHM – UG0299
1 avenue Claude Vellefaux
75010 PARIS

Contact Association

contact-asso@gbmhm.fr

Contact Plateforme d’EEQ

contact-eeq@gbmhm.fr

Mentions légales

Lien